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La CHIGNOLE Couv V
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Accidents
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Mémoire dormante
La CHIGNOLE Couv R

La CHIGNOLE

 

C’est un virus, un caillou sous la roue du vélo, 

un chauffard, un terroriste, une leucémie, un AVC…

 

On dit un accident, un attentat, une maladie…

C’est une déflagration.

C’est une déchirure définitive, 

de celle dont on dit que ce ne sera jamais plus comme avant.

 

On peut se peiner des empêchements, des confinements, des privations.

On est en droit de s’impatienter, de s’exaspérer ou de s’énerver…

Ceux qui sont dans la perte sont au-delà, ils sont emmurés.

Cette partie d’eux-mêmes qui souffre d’une perte irrémédiable sait qu’aucune pirouette ne saura les sauver de leur part manquante.

 

Certaines effractions n’ont que le vide à contempler, pire encore que l’obscurité, dont nous avons appris qu’elle n’était qu’attente de l’aube. 

Le vide est une lumière qui n’éclaire plus rien, , un cri, un trou au coeur duquel la seule perception est l’absence, la perte, le manque.

 

Ce déclenchement, ce fût un avatar domestique, un électricien zélé qui, en passant sa gaine électrique, perce de sa chignole géante mes classeurs de diapositives soigneusement archivés au bas d’un placard. 

La perte était irrémédiable, mais triviale, le trou définitif,

et l’électricien terriblement désolé.

La vie sait n’être pas avare en accidents, et cet épisode refait surface 

comme un iceberg à la dérive qui retrouve des berges pour le guider.

Et puis les maladies, les pandémies, et toutes ces disparitions, ces familles lacérées bien au-delà des frustrations ou des revendications ridicules.

Et l’iceberg dormant se transforme en une braise perforante, une urgence viscérale à dire la perte, les pertes, ces arrachements inhérents à nos vies d’humains.

 

De ces diapositives perforées, perdues, de l’histoire qu’elles racontent, de ce micro fragment de temps révolu qu’elles protègent et consolent, ne reste qu’un vide opalescent aux bords déchirés et douloureux. Comme une abstraction, une théorie brutale sur le manque, une vaine rhétorique de l’absence.

Et ces pages trouées viennent composer les fenêtres d’une ville enfermée dans ses paysages intérieurs, avec ici ou là, un trou, une effraction, un drame au-delà du pire.

 

Mais les nuits tombent, et toujours elles tombent, et les villes s’endorment et oublient, ou s’amusent, ou s’arment de vengeance.

Et toujours  les vitres brisées battent au vent du vide, insensibles à l’oubli et aux réparations.

De ces dévastations-là,  il faut pourtant se relever et réinventer des lendemains qu’il est nécessaire malgré tout de garder vivants, créer les jours d’après encore, avec leurs dentelles, blanches ou noires, leurs illuminations rescapées, et le désir de dire, de montrer, de raconter, même si c’est de la peine.

« Tout ce qui est vivant peut-être blessé, photographier la blessure »

(Didier Benloulou – Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs)

 

J’ai appris à observer la blessure,

à la parer, la radiographier, la suturer.

La réparation qui suit, la consolidation, se font hors moi, sans moi.

Si les soins ont été adéquats, alors la fonction reprendra son droit,

sans déviance.

 

 

Ainsi ce travail

Sur la photographie mais sans photographier.

A nettoyer, scanner, restituer, reconstruire.

Pour donner du sens à ce qui n’en a jamais.

Pour prendre soin, d’elles et d’eux et de moi,

Des troués, des déchirés, des abimés,

Et malgré tout les épurer, les embellir,

Et en désignant leurs blessures,

Utiliser ce langage de lumière pour les faire remonter sur scène, 

là où ils sont vainqueurs, 

Dans la lumière. 

 

Michaël SERFATY - Mai 2020

 

 

​Sans appareil photo, interroger la matière photographique même,

Elle à qui nous confions notre histoire, notre mémoire,

Les grands et petits moments du monde,

Les instants poétiques et les secousses dramatiques,

Tout ce qui pétrit la matière des nos jours.

Fragments de secondes recueillis, accueillis, protégés.

Avec le défi insensé de vouloir transmettre

Nos pulsations, nos émotions, nos vibrations.

Une matière organique, celluloïde ou pixelle périssable,

Egalement soumise aux soubresauts du temps,

De ceux-là même qu’elle est censée nous épargner,

Et qui se retrouve dans une absurde bascule

A ne garder que la déchirure, le vide, l’absence.

La photographie d’un accident, d’un trou de mémoire.

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